Librairie Pierre Saunier

Les Prophètes du Passé – La Bague d’AnnibalLes Prophètes du Passé – La Bague d’Annibal Les Prophètes du Passé – La Bague d’AnnibalLes Prophètes du Passé – La Bague d’Annibal Les Prophètes du Passé – La Bague d’AnnibalLes Prophètes du Passé – La Bague d’Annibal Les Prophètes du Passé – La Bague d’AnnibalLes Prophètes du Passé – La Bague d’Annibal

Barbey d'Aurevilly (Jules).
Les Prophètes du Passé – La Bague d’Annibal.

Paris, Louis Hervé, éditeur & Duprey, éditeur, 1851 - 1843 ; 2 petits in-12 reliés en un volume, demi-veau marine, dos lisse orné de filets, ébarbés en tête et en pied, marges conservées, étui (reliure d'époque). XXXVI & 160 pp. – 5 ff., 127 pp., 1 f.

12 000 €

Editions originales.

Les exemplaires de Barbey d'Aurevilly.

Exceptionnels exemplaires sur grand papier abondamment annotés par Trebutien à partir d’extraits de lettres que Jules Barbey d’Aurevilly lui envoya.

Bien que portant les noms des éditeurs Duprey et Hervé, les deux livres furent édités à Caen par Trebutien qui en régla aussi la Phynance.

La Bague est l’un des 25 exemplaires sur papier de Hollande, seul tirage de tête (puis 15 sur papier de couleur et 110 exemplaires sur papier collé).

Les Prophètes, tiré à petit nombre, est l’un des quelques exemplaires imprimés sur Hollande, seul grand papier.

Les Prophètes du Passé & La Bague d’Annibal comportent, sur respectivement 72 pages & 30 pages, une transcription de la main de Trebutien de larges extraits de lettres que lui envoya Barbey entre 1843 et 1852 – les marges (l’encadrure selon Barbey) de grand fond, petit fond, tête ou pied, sont remplies voire saturées par la fine écriture de Trebutien (écriture qui n’est pas sans une troublante ressemblance avec celle de Barbey).

On connaît l’amitié admirable qui unit une trentaine d’années durant Barbey et Trebutien ; jeune étudiant de 22 ans, le premier avait rencontré le second vers 1830, son ainé de 8 ans, quand celui-ci tenait le cabinet de lecture de sa mère dans la ville de Caen. Rencontre décisive d’un aspirant et fringant gendelettre avec un érudit reclus qui allait lui mettre le pied à l’étrier et publier ses premiers livres. Lorsque Barbey s’en vint à Paris gaspiller les biens mesquines ressources d’un héritage que lui laissait un vieil oncle, il entreprit d’envoyer aussi fréquemment que régulièrement à son frère d’âme resté au port quantité de lettres – des centaines entre 1832 et 1858 – dans lesquelles, dira-t-il, j’ai versé le meilleur de moi-même sur les hommes, sur ma vie intérieure et extérieure principalement et sur tous les événements de ce temps. Trebutien, véritable alter ego de mes pensers (Barbey) qui savait aussi éditer comme Benvenuto Cellini ciselait, taillait mes cailloux comme on taille les diamants faits pour une couronne (…) devint un ami idolâtre prodigieusement dévoué à tous mes intérêts littéraires.

En découle cet extravagant et précieux volume établi par Trebutien.

Avec l’application d’un moine copiste, celui-ci plaça avec pertinence commentaires, appréciations et notes puisées dans les lettres que Barbey lui envoyait ; elles débordent largement le cadre des seules indications destinées à l’établissement du texte. Souvent très longues, ces foisonnantes annotations constituent un éclairage inédit et approprié, sans frein ni censure, d’une œuvre faite ou en train de se faire …

Exemples :

Page 77 des Prophètes, texte imprimé : L’agonie des nations dure des siècles. Il y a pour les peuples comme pour les hommes une manière de se coucher dans la tombe. Faudrait-il donc croire que, parmi ces ruines majestueuses de la Monarchie et de l’ancienne Société française, il n’y aurait pas un malheureux débris avec quoi on pût rebâtir au dernier des pouvoirs, ne fût-ce qu’une baraque, dans laquelle il vécût les jours qui lui restent à vivre, – fort et respecté ? Trebutien ajoute ce passage extrait d’une lettre de Barbey du 18 Janvier 1849 : Non, rien ne s’est jamais vu de si lamentable ! Nous ne croulons pas, nous nous affaissons. La boue détrempée par les pluies finit par ne plus être qu’une sale mare. Les briques de Babylone faisaient au moins du bruit en tombant, mais nous, nous ! nous ressemblons à la fuite d’immondices à travers les lézardes d’une latrine. C’est puant, malsain et silencieux.

Page 60 de La Bague, texte imprimé : Mais, bah ! tout portrait est un mensonge ou une impuissance ; et comme souvenir, j’aimerais mieux de ma maîtresse ce que ce mauvais plaisant de Bonaparte osa léguer à sa mère en plein testament. Copie de Trebutien, lettre du 15 janvier 1852 : le détail que vous me demandez dans votre dernière lettre n’est point historique à moi, c’est l’historique à Bonaparte et ne lui fait pas beaucoup d’honneur. Ce qu’il osa léguer à sa mère (qu’il avait nommée de ce grand nom, unique dans l’histoire même Romaine – Madame Mère – nom plus grand, selon moi, que la plus belle de ses batailles. Qu’est-ce que la Reine Mère, en comparaison de cet auguste et impérialement tendre appellation, Madame Mère ? ...) ce qu’il osa léguer à sa mère, après l’avoir si magnifiquement nommée, c’est … le croirez-vous ? son Bidet. Le Puerco Corse reprenait le dessus sur l’Aigle ! Il avait de la grandeur et à force de grandeur (parfois) il rencontrait des tendresses à la César, comme Madame Mère ; mais il n’était pas naturellement délicat, qui est le sublime de la grâce du cœur ! Je lui en ai toujours voulu de ce cadeau qui veut être intime et qui n’est qu’immonde… (lettre 172).

On ne connait pas à ce jour les lettres de Trebutien à Barbey ; on devine à lire celles de ce dernier que Trebutien confectionnait ce type de spécimen annoté tout en l’abreuvant de questions à ce sujet, et ce, bien après leur publication. Dans une lettre de Barbey du 1er octobre 1851 (lettre 164) on lit : Je crois, très cher, que vous feriez bien – puisque cela vous intéresse - d’attendre à avoir mes Memoranda pour annoter Le Dandysme et La Bague. Il y a dans les Memoranda que je vous enverrai prochainement des choses qui conviendront très bien pour l’encadrure de ces deux textes et qui doivent assez curieusement les éclairer (on souligne). Vous avez la bonté de vous dévouer tant à ma vie, et une intuition si grande de tout ce qui tient à l’âme et ses rapports avec l’Art que je ne vous indiquerai rien ; vous choisirez tout et vous ne vous tromperez pas. Et plus tard, le 23 juin 1853 (lettre 195), Barbey lui écrit : Quant à vos inscriptions pour La Bague et pour tout, je serai à vos ordres quand vous voudrez. Je vous mets le robinet entre les mains. Vous tournerez quand il vous plaira. Au moins peut-on être certain que Trebutien avait toute licence pour annoter – éclairer – les textes de son ami ; et il ne se trompa point.

Ces deux ouvrages furent reliés après le travail de Trebutien (un rapide examen de la couture des fonds de la reliure l’atteste, impossible d’écrire aussi profondément une fois le livre relié). Bien que paru après La Bague (1843), Les Prophètes (1851) est en tête dans la plaçure : simplement, le volume des Prophètes fut annoté par Trebutien avant celui de La Bague qui contient des citations postérieures à 1851.

Qui le savait ?

Trebutien envoya ces deux ouvrages à Barbey – qui probablement les fit relier ensemble. Une lettre de Barbey à Trebutien du 18 septembre 1851 abonde dans ce sens : Je n’ai pas reçu que votre lettre. Il y a quelques jours, j’ai aussi reçu par Derache l’exemplaire des Prophètes annoté par mes lettres. Ces notes m’ont fait plaisir. Elles sont meilleures que je n’aurais cru. C’est singulier. J’aime mieux ma pensée, quand je l’ai un peu oubliée et qu’elle me revient, qu’au moment même où je l’écris. Alors je suis trop familier avec elle ; je la connais trop. Mais quand elle me revient, elle me fait l’effet d’une étrangère. C’est si charmant, une étrangère ! Une inconnue! Sensation neuve!

Alors…

On nous pardonnera de ne pas présenter un relevé exhaustif des citations car trop nombreuses ; par bonheur, la plupart sont datées par Trebutien.

Ajoutons qu’il faut attendre le XXe  siècle pour que la correspondance de Barbey à Trebutien soit publiée et connue – la numérotation des lettres de cette fiche se réfère à l’édition des Lettres à Trebutien publiée chez Bartillat en 2013 (1315 pp.).

Monumental.